Bonnes lectures d’été Dominique M.

Le passeur, de Stéphanie COSTE

chez Gallimard-NRF, un conseil de lecture de l’amie Catherine de la librairie Le Presse-papier d’Argenteuil

La pauvreté, la guerre, l’horreur marquent notre planète. Tant que ces données ne seront pas éradiquées, ceux qui la subissent, les jeunes en particulier qui ont l’avenir devant eux n’auront que l’espoir de les quitter définitivement. Aux lendemains de l’horreur de la guerre mondiale, à sa création, l’ONU affirmait le droit sans limite à la circulation des hommes. Nous pouvons constater comment ce droit humain fondamental est bafoué aujourd’hui.

Dans Le passeur, l’auteur aborde l’univers des hommes du « passage », ces passeurs décriés par les bonnes âmes. À voir, de loin pour nous, bonnes gens d’ici, comment ce passage se produit dans des embarcations de fortune, ce n’est pas joli joli.

Dans un court roman fait d’une belle économie qui nous entraîne directement au fait, Stéphanie COSTE aborde la question de la déshumanisation qui vient fondamentalement de cette horreur du monde que connaissent des habitants de ces contrées marquées par la misère, la guerre, et une déshumanisation totale. Mais rappelons que les responsables ne sont pas ces populations victimes elles-mêmes, mais les décideurs d’ici et leurs comparses sur place. Lorsque ces méfaits disparaîtront et le droit à circuler sera préservé intégralement pour tous, les éléments de cette déshumanisation disparaîtront avec eux.

Mais même dans cet univers de déshumanisation, il y a encore de l’espoir, beaucoup d’espoir.

Pour conclure, je reprendrai la conclusion de l’analyse du site très utile Babélio  : « À travers les destins croisés de ces migrants et de leur bourreau, Stéphanie Coste dresse une grande fresque de l’histoire d’un continent meurtri. Son écriture d’une force inouïe, taillée à la serpe, dans un rythme haletant nous entraîne au plus profond de la folie des hommes. »

Là où nous dansions, de Judith PERRIGNON

Payot-Rivages, un auto-conseil de lecture lorsque j’ai entendu sur France inter parler l’auteur de son roman de sa belle voix. J’avais beaucoup aimé Les faibles et les forts. Je n’ai pas été déçu par la lecture de son dernier roman.

Certes, il faut se concentrer pour suivre les personnages puisque l’on circule des années 1930 à aujourd’hui, mais le thème est traité autour d’une énigme avec délicatesse et justesse au moyen d’une écriture originale et attachante. L’auteur a une façon toute particulière de parler au lecteur.

Nous sommes dans un quartier qui a été marqué par les investissements du New deal de Roosevelt. Une cité moderne comme les nôtres des années 1960. Mais comme pour les nôtres, le temps a passé, et comme bien des grands ensembles de ce temps-là ici, ces constructions vont être détruites.

Ce roman parle de Detroit dans le Michigan. Detroit qui fut la grande ville de l’automobile, marquée par les luttes du mouvement ouvrier où les ouvriers noirs représentèrent une part très majoritaire des prolétaires. Detroit, un creuset de l’histoire de la musique noire. J’ai appris que John Lee Hooker, le grand chanteur de blues fut d’abord un de ces ouvriers de l’automobile de Detroit.

Mais les choix du patronat, le chômage, la pauvreté ont conduit à la faillite de la ville, qu’il n’est pas facile ces dernières années à relever. Une situation qui pour reprendre un terme discutable a abouti à la « ghettoïsation », à la marginalisation croissante de la jeunesse, avec ses trafics, la drogue, les gangs.

Cela vous fait penser à quelque chose. Vous avez raison. Lorsque Judith PERRIGNON écrit sur les États-Unis, nous dirigeons notre pensée vers ici. Elle le fait avec beaucoup de délicatesse, je dirais même de tendresse pour une réalité et des personnages victimes d’un déterminisme qui ne pourrait pas être, et qui n’est que relatif.

Comprenne qui voudra, de la journaliste Robert DIARD et du documentariste Joseph BEAUREGARD, une co-édition L’iconoclaste-Le Monde

D’abord merci à Marie d’Ermont qui m’a transmis ce livre. Elle saura remercier qui l’a aussi inspiré parmi d’autres. Il m’a été donné dix jours après ma participation précédente à cette émission Empreinte. J’avais alors évoqué le beau livre « Le consentement » de Vanessa Springora, sur une autre affaire, « l’affaire Mazzneff ». Hasard, mais je suis heureux de parler de ce livre « Comprenne qui voudra » qui porte sur une autre affaire, portant également sur une relation entre majeur et mineur, mais en étant en l’occurrence l’exact opposé. Il s’agit cette fois, du dramatique drame qui conduisit au suicide à l’été 1970 d’une enseignante de 32 ans, Gabriel Russier.

L’affaire Gabriel Russier fait partie pour bien des gens de cette jeunesse que nous n’avons pas oubliée. Et je me permettrai avant de poursuivre d’évoquer rapidement mon itinéraire personnel.

Comme le jeune Christian, j’ai 16 ans en mai 1968, et je me donne pendant ces semaines à cette expérience que ne peuvent oublier tous ceux qui l’ont vécue. Nous vivons l’espoir d’autre chose, qu’il est possible que le carcan qui pèse sur l’homme puisse céder.

Le carcan est  encore en 1968 pour la jeunesse qui échappe en particulier au travail (les jeunes travailleurs ont bien d’autres contraintes, mais le travail leur ouvre un espace de liberté) est celui de la famille et de l’école. C’est cela qui éclate en ces années et ces mois de liberté dans la relation entre Gabrielle, l’enseignante pleine de vie et d’espérance et Christian, ce jeune homme produit d’un milieu très cultivé et que les idées devraient émanciper. Personnellement j’ai eu la chance d’avoir des parents qui n’étaient pas universitaires, mais qui étaient éclairés au point de me faire totalement confiance, pour participer à ces évènements et trois ans plus tard pour me laisser m’engager dans une voie personnelle que j’avais choisie. J’étais encore mineur en ce temps-là. Jusqu’à 21 ans, nous l’étions tous.

Ce que raconte ce récit est une belle histoire de ce temps-là où dans les lycées le temps était à la passion pour la culture et le partage, où les jeunes enseignants en particulier étaient en train de briser les relations mandarinales.

Je crois me souvenir que dans l’école normale d’instituteurs que je fréquentais alors cela donna de belles amitiés, mais aussi quelques belles rencontres et de beaux amours.

Nous découvrions la vie avec nos seize ans, mais nos seize ans valaient bien des âges plus avancés. Nous caracolions vite. Et nous étions à des années lumières de l’univers de l’affaire Mazneff.

C’est aussi l’intérêt de ce récit « Comprenne qui voudra », c’est de nous faire réfléchir. On a beaucoup parlé du poids de l’époque, celle des années 1990, dans «le consentement ». On est aussi obligé de revenir à l’air du temps de ces années 1968 dans ce récit que je vous conseille. Mais en vingt-cinq ans, que de fleurs et d’espérances avaient pourri.

Nous n’avons pas oublié Gabriel Russier. Le succès des livres qui furent écrits après sa mort, et du film de Cayatte furent le signe que ce drame était celui de toute une génération que la vieille société voulait empêcher de vivre et dont elle était finalement jalouse. Pour les plus jeunes « Comprendre qui voudra » donne l’occasion d’un beau moment de réflexion et de cet espoir qui dure malgré tout et qui est l’avenir du monde.